Le 24 juin 2025, deux skieurs français, Tiphaine Duperier et Boris Langenstein, ont marqué l’histoire de l’alpinisme et du ski de pente raide en réalisant la première descente à ski intégrale du Nanga Parbat, neuvième plus haut sommet du monde, culminant à 8 126 mètres au Pakistan.
Surnommée la « montagne tueuse », ce sommet himalayen, réputée pour sa dangerosité et ses conditions extrêmes, n’avait jamais été skiée dans son intégralité depuis son sommet. Cet exploit, réalisé par la voie Schell via l’impressionnant versant Rupal, repousse encore les limites du ski de haute montagne et s’inscrit dans une série de descentes d’envergure pour ce duo aguerri.
Une Ascension Épique sur la « Montagne Tueuse »
Un Sommet Mythique et Redoutable
Le Nanga Parbat, situé dans le massif du Karakoram au Pakistan, est une montagne légendaire, à la fois fascinante et terrifiante. Avec ses 8 126 mètres, il figure parmi les quatorze sommets de plus de 8 000 mètres de la planète. Son surnom de « montagne tueuse » n’est pas usurpé : depuis les premières tentatives d’ascension dans les années 1930, près de 80 alpinistes y ont perdu la vie, victimes de ses pentes abruptes, de ses avalanches et de conditions climatiques imprévisibles. Le versant Rupal, une paroi de 4 500 mètres de dénivelé, est l’une des faces les plus imposantes et techniques au monde.
C’est sur cet itinéraire que Tiphaine Duperier et Boris Langenstein, accompagnés de l’alpiniste allemand David Goettler, ont choisi de relever un défi inédit : atteindre le sommet en style alpin, sans oxygène ni assistance, et descendre à ski depuis la cime.
Une préparation méticuleuse
Pour réussir cet exploit, le trio a adopté une stratégie rigoureuse. Après une acclimatation au Népal sur les pentes du Baruntse (7 129 m) en mai 2025, ils se sont rendus au Pakistan pour attaquer le Nanga Parbat dans des conditions sèches, marquées par une faible couverture neigeuse. Partis du camp de base le 21 juin, ils ont progressé rapidement, établissant un camp par jour jusqu’au sommet. « C’était hyper sec, très peu de neige, comme au Népal. On s’est dit que si on voulait skier, il fallait qu’on monte vite », confie Tiphaine Duperier dans une interview à Montagnes Magazine. Cette rapidité était cruciale, car les conditions météorologiques et l’état de la neige à 8 000 mètres peuvent changer en quelques heures, rendant la descente encore plus périlleuse.

La voie Schell : un itinéraire complexe
L’ascension s’est déroulée par la voie Schell, un itinéraire rarement emprunté qui traverse le versant Rupal avant de basculer sur le versant Diamir à partir de 7 400 mètres. Ce parcours, exigeant techniquement, combine des pentes raides, des sections mixtes (roche et glace) et une traversée délicate vers le sommet.
« C’était assez impressionnant de basculer de l’autre côté. Tu n’es plus au-dessus de ton camp de base. J’ai trouvé ça assez engagé », raconte Tiphaine Duperier.
Le 24 juin, sous un ciel dégagé et sans vent, les trois alpinistes atteignent le sommet à 15h30, un moment de courte euphorie avant de se concentrer sur la descente, véritable crux de l’expédition.
La descente à ski : un exploit technique et mental
Skier à 8 000 mètres : une prouesse hors norme
Skier un sommet de 8 000 mètres est une entreprise qui transcende le simple défi physique. À cette altitude, l’air raréfié contient environ 30 % d’oxygène de moins qu’au niveau de la mer, rendant chaque mouvement épuisant. « Se baisser, chausser ses skis, rien n’est facile et on a le cerveau embué », explique Boris Langenstein dans Le Figaro. Chaque virage demande une concentration extrême, car la moindre erreur peut être fatale. La descente du Nanga Parbat par le versant Rupal, une première mondiale, a nécessité trois jours d’efforts intenses, ponctués de passages techniques et de conditions variables.
Les défis techniques de la descente
La descente à ski du Nanga Parbat présente des défis uniques, notamment en raison de la diversité des terrains rencontrés. Pentes raides et exposées, sections mixtes et conditions changeantes étaient les conditions rencontrées sur cette voie: avec notamment une faible couverture neigeuse, due à la sécheresse himalayenne, qui a compliqué la glisse, obligeant les skieurs à s’adapter à des surfaces irrégulières.
« Chaque virage est un immense essoufflement », confie Boris Langenstein, soulignant l’effort physique et mental requis pour enchaîner les courbes à une altitude où le corps lutte pour chaque inspiration. Contrairement à une descente à pied, plus rapide dans ces conditions, skier exige une maîtrise technique et une résilience mentale exceptionnelles.

Une première historique
Cette descente marque deux premières majeures : la première descente à ski intégrale depuis le sommet du Nanga Parbat et la première descente à ski du versant Rupal. En 2019, Duperier et Langenstein avaient déjà tenté de skier le Nanga Parbat par la voie Kinshofer sur le versant Diamir, mais Boris n’avait pu chausser ses skis qu’à 8 070 mètres, et Tiphaine avait renoncé près du sommet en raison de la fatigue.
Cette fois, leur persévérance a payé, faisant d’eux les premiers à skier intégralement ce géant himalayen. « En voilà une pour les livres ! », s’exclame David Goettler, leur compagnon d’ascension, qui a opté pour une descente en parapente. Le grimpeur allemand a d’abord descendu une section à pied, puis a décollé en parapente d’environ 7 500 m à 18h00 dans de bonnes conditions. Il a atterri au camp de base 30 minutes plus tard.
Une carrière dédiée au ski de pente raide
Des habitués du ski de pente raide en Himalaya
Tiphaine Duperier et Boris Langenstein ne sont pas des novices dans le domaine du ski de pente raide. Guides de haute montagne basés à Val d’Isère, ils ont accumulé une impressionnante liste de descentes en Himalaya et ailleurs :
+ Spantik (7 027 m, Pakistan, 2019) : Première descente intégrale à ski, une performance qui les a placés sur la carte du ski de montagne mondial.
+ Gasherbrum II (8 035 m, Pakistan, 2021) : Une autre descente marquante, réalisée avec leurs coéquipiers Guillaume Pierrel et Aurélia Lanoe.
+ Laila Peak (6 096 m, Pakistan, 2018) : Première descente complète d’un des sommets les plus esthétiques et engagés en Himalay.
Leur expérience dans des environnements extrêmes, combinée à leur expertise en alpinisme, leur a permis de surmonter les défis du Nanga Parbat. Originaire de Lyon, Boris Langenstein a débuté dans les pentes raides de la Chartreuse et des Écrins, tandis que Tiphaine, native des Bauges, a affûté ses compétences sur des terrains variés, de l’Inde à l’Alaska.

Un style alpin et engagé
Ce qui distingue Duperier et Langenstein, c’est leur engagement dans un style alpin pur : sans oxygène, sans sherpas, et sans cordes fixes. Cette approche, qui privilégie l’autonomie et la légèreté, augmente la difficulté mais reflète leur philosophie du ski de montagne.
« L’alpinisme est ma mule », déclare Boris Langenstein, soulignant l’importance de cette quête d’authenticité dans leurs expéditions. Leur réussite au Nanga Parbat s’inscrit dans une quête continue d’explorer les limites du possible dans le ski de pente raide.
Une nouvelle page dans l’histoire du ski de montagne
La première descente à ski intégrale du Nanga Parbat par Tiphaine Duperier et Boris Langenstein est bien plus qu’un exploit sportif : c’est une démonstration d’engagement, de technicité et de persévérance. En repoussant les frontières du ski de randonnée à plus de 8 000 mètres, ces deux Français continuent de pousser les limites de ce qui est possible à ski dans l’Himalaya.
Alors que le Nanga Parbat reste une montagne redoutable, marquée par des tragédies comme celle de l’alpiniste tchèque Klara Kolouchova survenue le même mois, cet exploit rappelle que l’Himalaya est un terrain où l’audace et la prudence doivent coexister.
Pour la communauté des skieurs de randonnée et des passionnés de montagne, cette descente est une source d’inspiration, un rappel que les sommets les plus inaccessibles peuvent être conquis, un virage à la fois.