Polémique autour du nouveau refuge du Goûter

Ouverture prévue pour fin août 2012

Cet été, le vétuste refuge du Goûter devrait enfin laisser la place au nouveau bâtiment qui vient d’être construit. Ce refuge, qui selon ses constructeurs est un modèle par les innovations qu’il comporte et le côté écologique de sa construction, est perché à 3 835 mètres d’altitude et offrira 120 places, soit une vingtaine de plus que l’ancien.

Ce nouveau refuge accueillera les premiers alpinistes dès la fin du mois d’août 2012, juste après que les contrôles et autorisations des autorités compétentes aient été reçues. Pour cette première année seulement 100 places seront accessibles, sur les 120 disponibles au total.

Nouveau mode de réservation

Au-délà de la nouvelle construction qui a duré plus de deux ans, le grand changement qui s’opérera avec ce nouveau refuge sera celui du mode de réservation des nuitées. Pour les professionnels comme pour le public amateur, la réservation deviendra obligatoire et se fera par le biais d’un site internet, devenue la règle incontournable, avec un versement d’arrhes. Ce système est selon la FFCAM le meilleur moyen « contribuant ainsi à une régulation de la fréquentation ».

Grande nouveauté donc avec la mise en place de cette plateforme de réservation en ligne uniquement. Le CAF commençait déjà à faciliter la réservation de certains refuges via une plateforme  dédiée cafresa.org mais il était toujours possible de réserver par téléphone si nécessaire dans chacun des refuges concernés. Pour le refuge du Goûter il en sera autrement, le site gère donc maintenant les réservations des alpinistes amateurs (pour la moitié des places disponibles) mais également la gestion des réservations pour les professionnels (compagnies de guides, agences et guides indépendants) sans possibilité d’appeler comme auparavant.

Il est bon de rappeler que d’année en année, les alpinistes sont de plus nombreux à tenter l’ascension du Mont Blanc, on estime leur nombre entre 20 000 et 30 000 chaque été. La grande majorité tente cette ascension par la voie la plus classique et la plus facile, qui passe par l’arête du Goûter.

Au cours de l’été, ils sont donc chaque jour des dizaines à s’entasser pour accéder au refuge, et souvent une partie des ces montagnards n’a pas réservé sa nuitée. Ainsi, les tentes s’amoncellent aux abords du glacier, et malgré les problèmes d’hygiène et de sécurité, les alpinistes s’entassent dans le réfectoire et dorment souvent à même le sol ou sur les tables du refuge.

La polémique enfle

Mais la polémique enfle sur les pentes du plus haut sommet d’Europe, notamment quant à ce nouveau mode de réservation en ligne via le site internet mis à disposition. Comme le relate le reportage de France-Info (Reportage France Info – Nouveau Refuge du Goûter), si le système va bien être équitable pour les cordées autonomes d’amateurs sans guides, une sorte de système « discriminatoire » est en train de se mettre en place pour les professionnels de la montagne, mettant dos-à-dos les compagnies et autres agences du monde entier et les guides indépendants, grands perdants de ce nouveau système.

Des agences étrangères (anglaises et japonaises) auraient même réservé le plus grand nombre de places possibles dès l’ouverture du site, mettant ainsi les compagnies habituelles de la vallée dans une très mauvaise position pour l’été à venir face à leur clientèle habituelle.

De plus, tous les guides ne seront pas logés à la même enseigne selon s’ils seront membres d’une compagnie (structures qui disposeront de la quasi-totalité des places), ou s’ils travaillent en tant qu’indépendants (avec leurs propres clients). Ces derniers se retrouveront avec un nombre très faible de place disponible au final, dans le ratio d’attribution décidé.

De plus, il semblerait que la logique qui prévalait jusqu’alors, c’est à dire le fait de privilégier les compagnies historiques de la vallée  soit révolue. Le Syndicat National des Guides de Montagne et le Club Alpin Français ont décidé l’abolition des privilèges pour 2013. La « bronca » gronde de plus en plus fort du côté des compagnies de guides de la vallée qui voient leur quasi monopole disparaître soudainement, au profit d’agences étrangères qui n’ont pas attendues une seconde pour profiter du nouveau système mis en place.

Que dire de tout cela ?

La presse nationale fait même écho des cris en provanance de Saint-Gervais et Chamonix. Le journal Libération mettait en avant dans un récent article (Libé 10.06.2012) plusieurs chocs culturels, pas seulement limités à la nouveauté « web marchande », certes importante, mais à ne surtout pas minimiser pour les professionnels indépendants et amenés par l’usage d’un site internet pour la réservation. Il met égalament clairement en avant un système de passe-droits établi depuis des années dans la vallée qui disparaît subitement, au profit de certaines compagnies.

Extrait de l’article Libération du 10.06.2012:

L’histoire ne se borne pas au choc entre tradition et modernité, entre des agences à la culture «montagnarde» et les mœurs débridées du Web marchand. C’est aussi celle d’un cocktail explosif de marché ouvert et de passe-droits. Un important quota de nuitées – plus de 70% en moyenne sur l’été – a été alloué d’office aux compagnies de guides de Chamonix et de Saint-Gervais-les-Contamines. Une tradition dans la vallée, liée à l’histoire de la profession et du refuge du Goûter mais qui, avec le nouveau système, apparaît insupportable.

La volonté de remettre à plat ce système avec l’arrivée de ce nouveau refuge ouvre une « boîte de pandore » et va certainement agiter le Landernau de la montagne pendant quelques temps encore.

Quoi qu’il en soit, je trouve regrettable que toutes ces polémiques surgissent autour d’un si bel ouvrage. La performance technique et environnementale de cette construction devrait tenir la part belle des commentaires et tel n’est pas le cas à quelques mois de son exploitation.

Malheureusement l’organisation du mode d’attribution des réservations donne l’impression d’un manque de concertation avec les principaux acteurs locaux qui guident chaque année des milliers de personnes sur le toit de l’Europe.

De plus, la discrimination flagrante à l’égard des guides indépendants n’en sera que plus grande. Cette volonté de réguler les réservations est tout de même bien éloignée de la réalité d’un emploi du temps de guide indépendant, n’ayant pas toujours une connexion internet ou un réseau 3G à portée de smartphone le jour de l’ouverture des réservations…

Mais cette polémique met surtout en avant que le problème de fréquentation du Mont Blanc par sa voie classique reste un cas unique dans le monde de la montagne. De plus, force est de constater que bien peu d’idées nouvelles viendront solutionner cet épineux sujet de la surfréquentation de cette montagne.

Ah si ! Il existerait pourtant peut-être bien une solution : il suffirait d’emmener les centaines de clients sur les autres sommets accessibles des massifs environnants. Certes ils ne font pas 4810m d’altitude, mais la diversité des courses sur bien d’autres montagnes permettrait de découvrir d’autres voies et de donner une autre image de la montagne à ces si nombreux clients, qui pour la plupart, remisent  leur crampons une bonne fois pour toute après avoir atteint le sommet du Mont-Blanc… triste réalité d’un certain mode de « consommation » établi sur ce sommet. Pardon, cette idée est stupide car certainement moins lucrative pour les compagnies et agences de la vallée… pourquoi pensais-je à cela !


Site de réservations du refuge du Goûter : http://refugedugouter.ffcam.fr

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