Kilian Jornet, où l’avènement de la montagne 3.0

J’ai pris mon temps pour relayer la performance de Kilian Jornet à l’Everest. Je l’ai pris car il aurait été trop facile, voire presque inutile pour un blog de cette modeste taille, de relayer cette information immédiatement tant nous avons été inondé dans les médias par cette double réalisation de l’ascension de l’Everest par sa voie normale en moins d’une semaine, sans utiliser les cordes fixes et sans oxygène.

La performance sur l’Everest, l’achèvement de son projet

Sa première tentative lui aura pris 26 heures. Kilian Jornet est parti depuis le camp de base à 5100m, c’est à dire depuis l’ancien monastère de Rongbuck, pour enchaîner 3800m de dénivelé positif, dont 30 km de moraines interminables et près de 2300m à très haute altitude. Nul doute que cette performance soit remarquable, même si elle n’est peut-être pas tout à fait celle qu’il souhaitait, ayant été obligé de s’arrêter au camp de base avancé (ABC, 6400 mètres), en raison de sérieux maux de ventre.

Record ou pas record ? peu importe, la performance est réelle. Pour rappel, en 1988 Marc Batard avait atteint le sommet de l’Everest en moins de 24 heures par le versant Sud.  En 1986, les Suisses Erhard Loretan et Jean Troillet avait mis 43 heures en aller-retour en gravissant le même sommet par le couloir Hornbein dans sa face Nord. Ils étaient cependant partis du camp de base avancé. Leur descente sur les fesses relève de la grande épopée himalayenne, à une époque où le toit du monde n’était pas balisé de cordes fixes et pris d’assaut par les expéditions commerciales.

Avec l’Everest, Kilian Jornet qui se considère davantage comme un athlète et non comme un alpiniste, achève donc son projet « Summits of my Life ». Depuis 2012, le sportif catalan s’est engagé sur les sommets qu’il considère comme les plus importants de la planète pour les gravir en un temps record (Mont-Blanc, Cervin, Mc Kinley, Aconcagua, Kilimandjaro, Everest…).

Il a importé le trail en haute montagne, jusqu’à la très haute altitude.

Dans un article titré «Après quoi court Kilian Jornet ?», dès 2012 je me posais la question du « pourquoi », avec cet article qui avait fait parler… J’avais ainsi pu le rencontrer et longuement échanger avec Sébastien Montaz-Rosset qui m’avait formulé la réponse qu’il donne dans le premier opus de son film : « c’est avant tout pour vivre ».

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Une communication encore jamais égalée

Les années 70, avec les Profit, Boivin, Edlinger avaient été de celles où l’on commençait à voir une forme de commercialisation de la performance; étant entourés de marques connus (Dunlop, Dynamic…) qui soutenaient leurs exploits et leur permettaient de financer leurs prochaines expéditions. Mais l’athlète ne se substituait pas encore au produit à cette époque où l’on commençait à peine à parler de marketing de masse.

Les grandes ascensions himalayennes étaient par le passé relayées par de grands médias, tel que Paris Match ou les radios nationales qui prenaient l’antenne pour suivre le dernier assaut. La mise en spectacle de l’alpinisme (article de Michel Raspaud) ne date pas d’aujourd’hui et l’Himalaya a toujours été la superstar du milieu.

Mais aujourd’hui il y a une performance dont nous ne parlons que très peu au travers des ascensions de Kilian, c’est celle de la communication 3.0, dans laquelle il a pleinement fait entrer le monde de la montagne.

Il y a un domaine dans lequel Kilian Jornet survole les débats, c’est celui de la maîtrise des réseaux sociaux et des médias en général. Sa préparation et son avancée dans l’Himalaya ont été distillées à la perfection comme aucun autre alpiniste ne l’avait précédemment fait. Les messages, les images et autres teasers ont été savamment orchestrés autour de cette expédition.

N’avez-vous pas remarqué combien de médias, et non des moindres, ont commenté la performance de Kilian seulement quelques heures après sa réalisation ? Le Monde, L’Equipe, Le Point, Le Figaro, Le Temps, El Mundo, etc. bref, tous les grands médias nationaux et internationaux s’en sont fait l’écho, chose suffisamment rare dans le domaine de la montagne. Seul Ueli Steck pouvait prétendre à une telle couverture, et encore.

Juste pour prendre la mesure de ce que cet athlète représente sur les réseaux sociaux actuellement :

  • 690’000 fans sur sa page personnel Facebook,
  • 125’000 fans Facebook sur sa page Summits of my life,
  • 232’000 followers sur Twitter,
  • 382’000 sur Instagram.

De ce coté-là, il est loin devant le reste des athlètes qui courent les sommets, Ueli Steck ne compte par exemple « que » 174’000 fans sur Facebook.

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Kilian est entouré par une équipe expérimentée de professionnels de la montagne que sont les guides Sébastien Montaz-Rosset ou encore Vivian Bruchez. Au-delà de l’encadrement technique, Kilian dispose d’une équipe maîtrisant à la perfection les fondamentaux de cette communication 3.0, et ses principaux sponsors l’ont formé habilement à exploiter ces nouveaux canaux de communication. Il n’est en effet pas rare de le voir se filmer en direct via Facebook live lors de sa préparation. Certains d’entre vous auront constaté l’investissement fait par Kilian Jornet dans le story telling autour de ses projets.

L’Himalaya […] superstar du milieu.

Les réseaux sociaux développent l’ubiquité au-delà de ce que permettait les seules technologies de l’information. Certains experts de la communication traduisent cela par SoLoMo pour Social-Local-Mobile et c’est tout cela que Kilian Jornet met en musique, il a été formé et excelle maintenant dans cet exercice.

Avec l’essor des technologies de la communication, le développement des réseaux sociaux et l’évolution d’internet, les consommateurs ont cessé d’être passifs pour devenir acteurs de leur consommation. Les marques ont dû ainsi se dépasser pour trouver leur place dans le cœur des consommateurs afin d’enclencher des fonctions émotionnelles et de créer un sentiment d’appartenance auprès de ses clients. Ce n’est plus la marque qui s’adresse à son consommateur mais son représentant qui l’incarne indirectement.

Une victoire marketing pour ses sponsors

Au travers de Kilian Jornet, c’est une victoire marketing de ses sponsors, et notamment pour la marque Salomon, qui a construit une stratégie marketing depuis des années autour de leur principal athlète. Ils ont su parfaitement permettre au consommateur de s’identifier à lui et à ses performances, en centrant la relation sur les valeurs développées par Kilian Jornet et donc en humanisant leur relation avec les consommateurs qui le suivent.

Le marketing 1.0 était centré sur le produit, le 2.0 sur l’expérience client et aujourd’hui les marques mettent l’humain au centre de la problématique. Il ne s’agit plus uniquement de facteurs de satisfaction client ou de répondre à un besoin précis, il s’agit d’avoir en commun des valeurs.

Les marques jouent sur l’émotionnel tout en permettant d’établir une relation privilégiée basée sur la proximité et l’échange entre un athlète et ses fans.

Quoi de mieux alors que d’exploiter ce filon à fond lorsqu’un athlète tel que Kilian Jornet joue cette carte pleinement, de manière parfaitement intentionnelle et certainement très peu influencée.

Pour le plaisir, je vous laisse visionner la première vidéo postée par Kilian après sa première ascension. Cette vidéo a depuis été visionné plus d’un million de fois sur Facebook… mais pas besoin de vous le dire car vous l’aurez certainement déjà tous vu !

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